Pourquoi Kodak meurt

Le stand Kodak au salon de la Photo 2010. Un stand ramassé pour une ex grande marque de la photographie ; des mots-clefs éculés - Daniel Hennemand, 2010

La fin prochaine de l’entreprise au renom historique ne s’explique pas seulement par ses erreurs de management. Le ratage de l’innovation montre la lourdeur des entreprises trop longtemps leaders, mais ce n’est pas l’unique cause. Avoir laisser passer les futurs Xerox ou Polaroïd est historiquement affligeant, mais Xerox a aussi été atteint du même aveuglement en ne voyant pas les potentialités de l’ordinateur personnel à sa naissance et l’on sait ce qu’est devenu l’entreprise du Docteur Lang.
Cet échec peut s’expliquer par l’impossibilité pour une entreprise de l’industrie chimique de penser autrement qu’en chimiste et en fabricant de produits tangibles à forte marge. Le monde du virtuel était incompatible avec le commerce du bout de film vendu à prix d’or. Pour le management, développer des produits numériques, consciemment ou non, conduisait Kodak à son suicide. On ne pouvait pas détruire une culture centenaire avec une décision d’un conseil d’administration ou alors il fallait laisser mourir et créer à côté; une seconde vie n’était pas possible.
Les usines de films, de papiers et autres produits de traitement de la chaîne de l’image argentique étaient d’immenses et fiers paquebots issus du XIXème siècle. Elles étaient magnifiques mais lourdes à gérer. Elles-mêmes demandaient beaucoup d’effort d’innovation et de créativité pour les faire évoluer. Le management de ces centres industriels était focalisé et fièrement obnubilé par l’avenir de leur monstre. La coexistence même dans un centre de recherche d’activités de développement des techniques argentiques et numériques semblait utopique. Des ingénieurs planchaient sur les techniques d’enregistrement vidéo futuriste avec dans les couloirs la forte odeur des solvants de la chimie traditionnelle voisine! Dans un même centre de recherche, ces deux mondes dirigés par le même homme ne pouvaient que s’affronter et se nuire.
Des marques historiques ont dominé le monde, elles ont disparu avec la fin de leur technologie. D’autres surgissent à la faveur d’innovations, ainsi va le monde cruel de l’histoire des techniques.
Ceci étant exprimé sans nostalgie aucune, mais avec un immense respect pour les milliers de collaborateurs qui ont sué sang et eau à produire et façonner durant un siècle, souvent dans le noir, ces millions de kilomètres de pellicule et de papier.
Daniel Hennemand, v1.4

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4 commentaires sur “Pourquoi Kodak meurt”

  1. Milhau dit :

    Vous avez au moins fait une faute dans votre titre : on écrit – meurt et pas – meure ! Kodak, c’était aussi l’époque où ceux qui publiaient (journalistes ou pas) avaient une certaine culture et pas mal de recul.

  2. dhennemand dit :

    Merci à G. Mihau [g_milhau@club-internet.fr] de m’avoir signalé cette faute d’orthographe

  3. Bonjour Daniel, j’ai trouvé ce lien vers ton blog via Viadéo…

    Ne penses tu pas un peu simpliste, cette vision des choses, et la limitation de Kodak à un Chimiste…

    Quand des entreprises de cette taille disparaissent, cela a de nombreuses implications…mais de plus nombreuses causes encore…

    Disons que leur activité était de fait révolu, et que redéployer un géant dans un domaine qui n’est pas le sien est déjà difficile pour des petites entreprises, alors pour une grande…

    En revanche, personne ne parle de tous ces ingénieurs et développeurs qui ont quitté la maison mère n’y trouvant pas leur compte pour créer ou partir développé à coté …

    n’est ce pas aussi le gigantisme des entreprises qui est remis a mal…

    SI c’est le cas ce ne serait pas si mal…

    Bien sincérement…

    Michel NICOLAS

    Dans le cadre de votre activité d’information, nous sommes un petit groupe à Créer une coopérative de photographes Via VIadéo.. si vous souhaitez avoir des information n’hésitez pas .

  4. dhennemand dit :

    Pour répondre aux commentaires.
    Non le gigantisme n’est pas l’unique raison d’un pareil déclin. On a beau être leader dans un domaine comme Revox/Studer dans l’enregistrement audio professionnel, si la technique est supplantée par le numérique et si la révolution en interne pour rebondir est trop grande, on disparaît. Nagra a survécu grâce au contrat de fabrication des décodeurs Canal Plus!
    Mais le gigantisme peut nuire gravement par un manque fréquent de cohérence de la gestion des savoir-faire. Chez Kodak, on savait tout faire et on a laissé perdre beaucoup de techniques; savoir chromer une roue de coulage d’émulsion, savoir fabriquer une bande magnétique audio professionnelle après plusieurs années d’arrêt de production, jusqu’à certaines vitesses de séchage de films qui étaient devenues un temps incertaines après le départ de collaborateurs. L’entreprise ne sait pas toujours gérer son patrimoine intellectuel. La priorité donnée au business fait roi le marketing. La gestion des connaissances est comprise comme un (sur)coût. Laisser faire les macro-pouvoirs internes au détriment d’une vision d’avenir forte peut affaiblir une entreprise.
    Steve Job dans la récente biographie de Walter Isaacson décrit les effets de la dispersion. Il explique une des clefs de l’histoire à succès d’Apple par une maîtrise parfaite de la coordination des efforts de la conception à la production. Sony, le mastodonte japonais, est cité en contre exemple, un immense potentiel, l’indépendance des unités et une sous efficacité des forces.
    Mais le plus grand malheur dans cette triste saga est surtout la confrontation nocive de deux mondes. L’ancien auparavant très rentable, le monde de l’argentique et l’autre, le numérique nouveau faiseur de business. Cette politique a provoqué d’impossibles débats. Imaginez à Paris, des commerciaux qui devaient aller à la rencontre de leurs clients traditionnels des arts graphiques, les imprimeurs, les photograveurs pour leur vendre du film mais aussi pour leur vanter les mérites du photo CD! Le doute des premiers face à la suspicion des seconds. Il était difficile pour ces techniciens de comprendre cette révolution – confrontation.
    Trois anecdotes, qui si elles n’illustraient pas des fractures professionnelles, seraient risibles.
    France 2 m’avait confié une étude de mutation numérique en 1998. Il fallait faire évoluer la diffusion des éléments visuels de programmation hebdomadaire vers la mise à disposition sur serveur d’images numériques. Remplacer les quarante diapositives sous feuilles Panodia par un abonnement à un serveur d’images. Nous avions réunis au SPMI* une trentaine de personnes concernées, représentant des chaînes et des éditeurs. L’ambiance n’était pas franchement à la confiance et l’unicité des opinions. Je me souviens d’une phrase prononcée d’une manière péremptoire par le responsable de la photogravure du groupe Hachette, « Jamais on ne pourra juger une image sans tenir l’Ekta à la main ».
    Chez Picto en 1999, Eddy Gassmann m’avait confié une étude interne similaire. En réunion, il m’a interrompu brutalement pour me dire que jamais les entreprises ne pourraient se passer des laboratoires professionnels…
    En 2005, la responsable d’un service packaging d’un grand distributeur m’expliquait que l’un des photographes, fidèle partenaire, lui avait expliqué que jamais il ne pourrait photographier en numérique pour elle certains produits; « La vapeur au dessus d’une semoule d’un couscous, disait-il, il n’y a que l’argentique pour rendre cela ».
    Ceux qui savent imaginer l’avenir tout en portant le lourd fardeau du présent sont des êtres d’exception.
    * SPMI : Syndicat de la presse magazine

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