Photographie et papier peint!

A moins d’être très attentif à séparer sa vie personnelle de ses activités professionnelles, nous avons tous vécu cela ; vous faites en vacances vos dix kilomètres de promenade quotidienne sur un sable dur et mouillé juste découvert par la mer et soudain votre téléphone se met à vibrer. Perdu dans le sac à dos entre les lunettes de soleil et l’appareil photo, il vous faut le retrouver à temps! Aider un client? Renseigner un prospect? Non, une voix agréable provenant du +44 mais s’exprimant avec un français parfait, vous demande de bien vouloir confirmer vos coordonnées professionnelles; là vous comprenez qu’il s’agit d’une prospection commerciale enrobée d’un peu d’astuce. Donc, déçu et les pieds sur le sable mouillé, je décline nom de société, adresse, etc. A mon tour, je questionne ; il s’agit d’une agence photo que je connaissais pas : pourtant avec un nom pareil « Photolibrary » ; certains savent être génériques! Avant de conclure, je demande quelques informations.

Ecran Photolibrary, résultat de recherche avec le mot clef "fenêtre"

L’appelante m’explique les origines australiennes de l’entreprise créée en 1967 ; une spécialité initialement d’images animalières, puis d’alimentation, la personne s’est reprise, … de gastronomie. Effectivement, dans le « Qui sommes-nous », nous découvrirons plusieurs agences regroupées aux thèmes génériques, « food, garden, contemporary…, a viable alternative to micro-stock services ». Voilà, c’est tout pour le contact.

De retour dans mon univers citadin, je regarde brièvement le site « photolibrary.com ». Le site est professionnel, réactif et efficace. J’effectue ma recherche favorite avec le mot clef « window ». Voici le résultat, ça c’est pour la couleur du fonds*, des images correctes sans surprise, mais demande-t-on à être surpris dans ce contexte? Je découvre les paramètres proposés pour une recherche plus précise ; cases à cocher : photo, illustration, people images only, vertical, horizontal, droits gérés, libre de droit, etc. Et puis, je remarque un petit carré de couleurs, accompagné d’une échelle, à la manière de l’efficace nuancier Photoshop : « New color search » ; là, en cliquant sur un ton précis, le code couleur s’affiche et devient un paramètre discrimant supplémentaire dans la fenêtre de recherche. J’ai choisi le rouge « FF0000 ». Voici une nouvelle recherche lancée donc avec « window » et « FF0000 ». Voici le résultat sur un fonds d’images, nous dit-on, de plus de dix millions. Des fenêtres rouges ou accompagnées de rouge nous sont proposées; une merveille non?

Ecran Photolibrary, résultat de recherche avec le mot clef "fenêtre" à dominante de couleur rouge

Posons notre clavier, notre souris ou stylet et réfléchissons un instant. Ce n’est pas une première, mais cela continue à me rendre perplexe. Comment pouvons-nous nous développer, créateurs ou communicants, dans un monde d’images à ce point traitées comme des objets d’ameublement? Comment les créateurs photographes peuvent-ils rivaliser avec d’immenses distributeurs de ce qui va être présenté finalement comme du papier peint? Comment éviter la saturation de l’univers illustré avec ce type d’offres? Photolibrary est une belle agence avec un outil de recherche efficace et une offre commerciale certainement performante, mais avec une telle approche, le professionnel de l’édition peut-il finalement justifier une conception de production photographique et un budget, quand l’image qu’il choisit finalement se simplifie, se standardise et se recroqueville pour n’être plus qu’un visuel ? Un artiste peut faire du rouge du vert du jaune à la demande. J’ai vu un jour François Boiron inonder sa toile de rose, jamais employée par lui, lorsqu’une milliardaire japonaise l’a approché sur le lieu qu’il animait ; elle était totalement vêtue de cette couleur, elle débordait de rose!** Mais la création photographique est-elle ramenée définitivement à cet usage de recouvrement d’écrans et de pages de magazine? Bien-sûr, il y a l’inévitable cycle « commande, réalisation, vente, recyclage, amortissement ».
Photographes, il est urgent de prendre par la main les éditeurs et les iconographes – qui ne demandent que ça? – pour leur faire découvrir et parcourir votre monde visuel riche et personnel. Ce n’est pas en remplissant des photothèques gérées électroniquement par des fonctions de reconnaissance de formes, de textures et de couleurs que vous vous distinguerez.
C’est épouvantablement efficace, comme l’était le mélangeur de couleurs au rayon peintures et papiers peints du BHV dans les années 80; ça marche trop bien!
Daniel Hennemand, v1.2
Photolibrary Europe
* Voir article précédant
** SPONCOM, Cannes, 1986, stand de la Mairie de Paris, architecte Jean-Michel Wilmotte, animation assurée ce jour là par François Boiron. Visite de l’excentrique Madame Oya, milliardaire japonaise, venue saluer le directeur des Affaires Culturelles de l’époque, Jean-Jacques Aillagon.

Photogestion.com

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Un commentaire sur “Photographie et papier peint!”

  1. dhennemand dit :

    A la suite des réactions de Hervé Bernard et de Sophie Champagnon sur le site Viadéo.
    Merci pour ce retour fait de raison. Les dérives dont nous parlons semblent liées à la rationalisation de l’économie de la communication et à l’hégémonie naissante des offres simplifiées faites par les sites de photographie d’illustration.
    Les deux phénomènes sont liés; le nouveau modèle économique réclame … des économies et les offres en ligne sont chatoyantes ; il est aisé de mémoriser un marque-page, de se connecter chaque jour et d’explorer plusieurs millions d’images, de « mettre dans notre panier » et de régler nos achats. Les rôles informationnel, pédagogique et esthétique de l’image sont tenus pourvu que l’on se contente de l’existant ou d’un existant moyen. Je ne vois pas quel contre-pouvoir ou quelle loi pourra endiguer cette tendance.
    Je voulais mettre l’accent sur d’autres « portes d’entrées » à mettre en place par les photographes créateurs pour la promotion de leurs fonds sous l’égide de l’imagination, du rêve et de l’expérience humaniste. Un directeur artistique ou un acheteur d’art peut oublier parfois l’adresse Internet d’un fonds d’illustration générale pour être surpris et finalement décider d’une production originale. Ma passion de l’étude des interfaces utilisateurs me porte à promouvoir des accès scénarisés en parallèle d’autres modes traditionnels de recherche, thématiques ou multicritères. Je me souviens d’un échange à l’agence Rapho il y a quinze ans où déjà les photographes s’interrogeaient sur de nouveaux moyens pour promouvoir leurs œuvres. Je m’étais permis de leur dire « Raconter une histoire », vendez un scénario, une série d’images, pas une photographie isolée ; évidement Hans Silvester et les Michaud ne m’avaient pas attendu. Mais il s’agit ici d’adapter ce concept aux modes d’interrogation d’un fonds à vocation commerciale. Des décideurs aux iconographes, tous sont avides d’histoire et de légitimité, il faut raconter son expérience de photographe! Seule une image remise dans un contexte peut rivaliser avec l’image d’illustration. Ce qui frappe dans les « bases de données photos », c’est l’absence de toute histoire; les images sont orphelines. Peut-on séduire sans histoire ?

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