Lecture de l’image : la musique, un bruit assourdissant!

undefinedAgrandir Nous voyons ici une scène du monde industriel, précisemment, de l’industrie du disque phonographique. L’épreuve, un tirage de presse aux dimensions moyennes, est signée Wide World Photos, The New-York Times, S.A., …Paris. La légende nous informe sur une étape de la fabrication des matrices, nécesaires au pressage des disques. La firme en question appartient à Electrola, située à Berlin. L’appellation Electrola est nouvelle, elle signale l’appropriation germanique de la marque anglaise Gramophone, plus tard connue en France sous le label « La Voix de son Maître ». Pour arriver à produire des disques, support d’un enregistrement qui fera le bonheur de mélomanes confortablement installés dans leur salon, il faut organiser une chaîne de production qui n’a rien de poétique. Des chimistes, des mécaniciens et des métallurgistes remplacent ici les interprètes. Notre image nous montre la phase de traitement de disques métalliques qui permettront le pressage en creux du sillon du phonogramme, capable de restituer l’enregistrement sonore initial. Ces pièces métalliques ont été traitées en amont par l’électrolyse afin de les recouvrir d’une fine couche de métal dur. Les pièces issues de cette étape doivent être dépourvues de tout défaut, car de leur empreinte dans la cire chaude et malléable devra naître un disque parfait. L’enregistrement sonore devra être restitué sans qu’aucun artefact ne vienne troubler son audition. Particulièrement, le bord du disque et la plage d’attaque de la gravure doivent être lisses; celle, en fin de lecture, proche de l’étiquette centrale, doit aussi est exempte de défauts qui engendreraient des chocs acoustiques perturbateurs pour les oreilles de l’auditeur.

L’image nous rend compte de cette activité de « polissage et de nettoyage des disques au moyen de tampons de cuivre ».

Comme à l’habitude l’image photographique nous apporte son lot d’informations en apparence objectives, avérées, et celles, incertaines, qu’il nous faut décrypter. Toute lecture est incomplète, l’interrogation et parfois le rêve, jouent un rôle non négligeable.

Essayons de décrire cette scène. Un volume délimité par un mur et une cloison semble partager un espace beaucoup plus grand. A droite, des portes donnent accès à une série de bureaux ou de studios. Si l’atelier est installé dans un hangar, on peut imaginer un espace bruyant.

Une ligne diagonale est concrétisée par un ensemble de machines à polir. Ces tours verticaux sont disposés sur un axe, laissant juste assez de place pour que chacun des opérateurs puissent s’installer devant le plateau-mandrin supportant chaque disque à polir. Sur la gauche de chaque tour, un bloc électrique semble indiquer que les machines sont pourvues de moteurs individuels. Une manette sur ce bloc, orienté vers l’opérateur, peut être un variateur de vitesse, pour obtenir une vitesse adaptée au traitement de chaque disque, suivant sa nature ou son diamètre ou encore, la dureté du polisseur. Les machines apportent une verticalité à l’ensemble, les lampes suspendues et leurs fils d’alimentation, les lignes du lambris de la cloison de droite aussi et surtout, les acteurs de la scène. Un axe majeur de l’image, le contre maître, scrutateur, à la tenu irréprochable et au regard plongeant sur les membres de son équipe. La représentation même de ce personnage communique sur le soin apporté à la fabrication des disques par cette compagnie.

Comme souvent, les personnages sont nets ou flous, posant ou indifférents. Les plus affairés pouvant être les plus apprêtés devant l’action du photographe. Les ouvriers sont attachés à leur mission de polissage, la maîtrise, en position debout, surveille, et puis, comme souvent, un acteur trop curieux, à droite, se détourne de son travail. Il ne peut s’empêcher de regarder l’intrus. D’autres éléments annexes moins lisibles, un tableau, en haut à gauche, peut indiquer des résultats de production. Au centre et au fond, des étagères de rangement des pièces en attente de traitement. A droite, sur la cloison, des épreuves ou de futures matrices à traiter. Contre le dos du premier opérateur, est-ce une boîte de baume à polir?

Nous pouvons voir et comprendre l’ensemble de la scène, mais si nous prêtons l’oreille en quelque sorte, un bruit soutenu parvient à nos oreilles : l’ambiance d’un hall d’un grand volume, le son produit par le contact des tampons sur le métal en rotation, qu’elle peut être la nature de ce bruit? Est-il doux ou au contraire, aussi crispant qu’un morceau de craie de mauvaise qualité sur un tableau noir? Et puis, surtout, les moteurs de ces engins. Quelle idée a conduit les ingénieurs, architectes de cet ensemble, à installer les tours sur une ligne, avec des intervalles si réduits ? Qui a imaginé de positionner les moteurs près de la nuque et des oreilles des opérateurs ? Pour celui qui a travaillé sur une fraiseuse, un étau-limeur ou un tour, la géométrie de cette image peut avoir quelque chose d’infernale. Le salon du mélomane est bien éloigné de cet atelier.

Cela me renvoie aux images célèbres des interprètes organistes et souffleurs aux tribunes des églises; les uns prient, les autres transpirent ! v1.1

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